Il marchait tranquillement sur la berge du lac. Depuis peu, il était comme sur un nuage. Pour une fois, il avait l’impression que sa vie valait le coût d’être vécu. Il avait trouvé un but, beaucoup plus important que ceux qu’il avait jusqu’à présent, mais pas au point de les ignorer. Son regard pouvait le faire passer pour le type de personne joyeux quelle que soit la situation et pour le moment, il y avait de quoi.

Subitement, il stoppa sa marche. Pourquoi marchait-t-il déjà ? Il ne le savait plus, mais cela n’avait aucune importance. Il se rapprocha de l’eau. Elle était claire et accueillante, le soleil lui tapait dessus depuis un bon moment déjà. Il jeta un coup d’œil rapide aux alentours… Personne. Parfait. Il retira ses affaires qu’il posa, un tant soit peu pliée, ne gardant que son pantalon et plongea. Exquise. L’eau était rafraîchissante et personne n’était là pour gâcher se moment. Il n’y avait qu’une seule personne dont la présence n’aurait pas briser le charme des lieux mais elle était absente. À cette pensée, il resta sur place quelques instants. En y repensant, elle lui manquait déjà, mais ils ne pouvaient être sans cesse sur le dos de l’autre, c’était quelque chose qu’ils savoureraient avec le temps.

Secouant la tête, il entreprit de faire quelques brasses, toute en évitant de trop s’éloigner de ses affaires. Il observa de temps en temps la course du soleil, elle était descendante et déjà bien entamée. Cela ne l’inquiétait pas du tout, bien au contraire, il préférait sortir de l’eau à la fraîcheur lunaire plutôt que sous la chaleur solaire. Lorsqu’il jugea avoir fait suffisamment d’exercice, il se rapprocha de la berge, mais rechigna à l’idée de sortir maintenant. À la place, il attrapa son manteau qui était présent sur la pile de ses affaires, le posa et s’en servit un peu comme d’un oreiller. Tandis que son corps flottait dans l’eau du lac, sa tête était confortablement posée sur la berge, ainsi, il profitait pleinement du crépuscule.

Un bref sentiment de mélancolie s’empara de lui. Quand avait-t-il observé le couchant pour la dernière fois ? Et en quelles circonstances ? La réponse, il ne la connaissait que trop bien, elle ne remontait encore qu’à quelques mois. Il s’efforça de ce rappeler une autre situation similaire mais là encore, il s’en aurait abstenu. L’unique autre fois où il regarda le soleil couchant pour une raison valable, c’était le jour de la mort de ses parents. Il était resté toute la journée sous la pluie et le vent, à prier Naga sur la tombe de ses parents, lorsqu’il se décida enfin à partir, c’était le crépuscule.

Pendant qu’il se remémorait tout cela, la lune commençait à s’élever, lentement. Lorsqu’il s’en aperçu, il voulut sortir de l’eau, mais du mouvement l’en dissuada. D’un geste rapide et silencieux, il attrapa et dégaina Lame Filante. Il se colla à la berge, ne laissant dépasser de l’eau que ses yeux, il observait les alentours, heureusement pour lui, le ciel était clair et la lune rayonnante, dans de telle circonstances, il serait difficile de le prendre par surprise, mieux, c’était lui qui prendrait l’inconnu au dépourvu ainsi caché par les rayons reflétés sur la surface de l’eau.

Il n'était pas content. Pas content du tout même. Il avait encore dormi. En plein après-midi ! Alors qu'il n'avait normalement pas besoin de sommeil. Yami se retrouvait donc en pleine forme, près du Lac, la nuit. Il avait décidé d'y retourner pour mettre à profit son insomnie. Après tout, la dernière fois il n'avait pas vraiment pu en profiter...

C'était la pleine lune, il pouvait voir l'astre au travers des branches des arbres. Mieux que le soleil, mais pas encore parfait. Si seulement il pouvait y avoir une éclipse... Mais cela avait peu de chances de se produire. L'Empereur rêvassait ainsi mais s'arrêta net, à l'orée du bois. Il sentait une présence. A cette heure-ci ? Mais qui... Il risqua un regard furtif. La personne était de dos, dans l'eau. Avec pour seules sources de lumière la lune et les étoiles, dur de l'identifier, même si Yami avait une bonne vision nocturne. Par terre il y avait un manteau d'une blancheur éclatante et une épée... Yst !

Yami sourit. Il allait lui faire la peur de sa vie. Avec de la chance, le soldat boirait la tasse. Ce serait amusant. Lentement, il s'approcha, ombre dans la nuit, le plus silencieusement possible...

Pas assez silencieux. Yst avait empoigné son arme et s'était retourné. Raaaah, la surprise tombait à l'eau. Avec un soupir, l'Empereur émergea des ombres pour se dévoiler à l'épéiste-mage. Il leva sa main gauche, si pâle qu'elle reflétait presque la lumière de la lune, et le salua :

"C'est moi, Decendia. Yami. Ben dis-donc avec toi faut montrer patte blanche !"

Il rit un peut et leva son autre main. Yami fit remuer ses doigts et un petit cliquetis métallique se fit entendre.

"Et si ça te suffit pas j'peux montrer patte noire."

Il était assez content de revoir Yst, bien qu'il ne se l'avouerait jamais.

"J'dérange pas ?"

Il était intimement convaincu qu'il dérangeait le soldat. Mais il s'en moquait. Il était d'humeur taquine. Il retira le haut de ses vêtements et ses chausses, ne conservant que son hakama noir. Son torse nu dévoilait une anatomie maigre mais très musclée. Son bras droit, d'un noir profond, était entièrement visible. Sur sa côte droite, la lumière de la lune révélait un hématome, souvenir laissé par le Dandy's Punch de Borg.

Sans un mot, il rentra dans l'eau. La fraîcheur de celle-ci lui rappelait les étendues glacées du Nord de son pays. Il fit un petit sourire et regarda Yst.

"Quoi d'neuf, soldat ?"

"Ça dépend..."

Un rictus un peu malsain fendit le visage de Yami. Pour lui, tout allait bien. Ou presque. Mais globalement, tout allait bien.

"Chez moi, ça roule ! J'ai pas encore pu participer à un vrai combat mais j'ai rencontré des gens. Et j'ai même pu en affronter certains. Cet endroit est vraiment intéressant."

Yami marqua une pause et regarda droit devant lui. Son regard était rêveur, et son visage, l'espace d'un instant, eut l'air aimable. La lune et les étoiles, à la surface de l'eau... Cette vision le rendait un peu nostalgique. Ce genre de spectacles était fréquent dans son pays. Néanmoins, le Nippon ne lui manquait pas. Bien au contraire.

Il fit quelques brasses pour chasser ces pensées de son esprit avant de se mettre sur le dos, se laissant porter par l'eau et contemplant l'astre lunaire.

"Tu n'as pas répondu à ma question."

"J'ai accompli l'un de mes rêves..."

L'Empereur ne bougea pas d'un cil, mais était tout de même très intéressé. Quel rêve au juste ? Enfin, Yst n'avait pas l'air de vouloir en parler. C'était compréhensible. Après tout, il était un sale type à l'air louche et n'avait croisé le soldat qu'une seule fois. Si Yami était à la place d'Yst, il ne parlerait pas de ses rêves en détail.

"Bien joué soldat."

Il se contenterait de ça. Si Yst voulait développer, qu'il le fasse.

Yami resta à la dérive, sur le dos, pendant quelques instants avant qu'une pensée lui traverse l'esprit. Il en fit part à l'autre baigneur.

"Hé, Decendia. Si on te proposait de rentrer chez toi, partir d'ici et ne pas revenir... En supposant que si tu refuses tu ne pourras jamais plus revoir ton monde... Tu ferais quoi ?"

La vision du lac dans lequel se reflétait le ciel nocturne avait inspiré à l'Empereur ces idées. C'était un peu abrupt, mais il se devait de poser la question.

Yst avait l'air gêné par la question de l'Empereur. Étrange, se dit ce dernier, la question était pourtant simple.

Le soldat, bien qu'hésitant, confia à Yami qu'il resterait ici si le choix lui était donné. Le démon commenta cette réponse sur un ton narquois :

"Je te manquerai tant que ça ?"

Puis il soupira et se rapprocha d'Yst en quelques brasses. Il remarqua que le teint de l'épéiste avait viré au rouge. Il devait avoir attrapé un rhume.

"Moi je ferais tout pour rester."

Il s'adossa au bord du lac, imitant son camarade baigneur.

"Toi, qu'est-ce qui te retiendrait ?"

Et avant même que le soldat puisse réfléchir à une réponse, l'homme au bras noir désigna d'un ample geste de ce même bras l'étendue d'eau devant leurs yeux.

"Dans mon pays, il y a un endroit qu'on appelle la rivière du ciel. Un cours d'eau qu'on dirait fait d'étoiles. C'est un spectacle d'une beauté rare que peu peuvent se vanter d'avoir contemplé dans leur vie."

Yami regarda le ciel étoilé et déclara, avec dans la voix une certaine mélancolie qui ne lui ressemblait pas :

"Moi, la seule chose qui me pousserait à partir, c'est l'envie de revoir les paysages de chez moi."

Rien d'autre, vraiment. Il n'aimait rien d'autre dans son monde. Ses généraux, les occupations, la littérature, la musique, il n'appréciait pas cela au point de vouloir abandonner ce monde dans lequel il pouvait mener une existence faite de combats. Mais les montagnes, les plaines, les bords marins, les étendues glacées, les forêts... Cela, il l'appréciait. Bien plus que les panoramas dépourvus de poésie que l'on pouvait contempler dans le Cross-Univers.

Le soldat fit part au démon de ses bons sentiments envers son roi. Classique. En revanche, quelque chose semblait surpasser ce "Chrom" dans la liste des priorités d'Yst. Ceci attira l'attention de Yami qui écouta d'une oreille plus qu'attentive.

"Même les dieux, aussi puissants sont-ils, ne pourraient me faire changer..."

Yami murmura quelques mots incompréhensibles, pour lui-même :

"Qu'est-ce qu'ils ont tous avec les dieux... Grmblgm... Pas si puissants... J'les défonce..."

Yst continua son petit speech sur cette personne qui avait changé sa vie. C'était tellement niais que l'Empereur Obscur ne put s'empêcher de profiter du fait que le soldat ferme ses yeux : en accord avec les mots d'Yst, il adoptait des postures dramatiques à base d'ample mouvements des bras, de mains sur le cœur et de fausses larmes. Il s'arrêta net et reprit une expression stoïque, l'air de rien, quand l'épéiste ouvrit les yeux pour se tourner vers lui.

"Cette personne... Est un ange... Aussi bien au figuré que littéralement... Elle m'a apportée une chose que beaucoup recherchent : Elle m'a apportée l'amour..."

Yami avait l'impression qu'on essayait de l'étouffer avec des bons sentiments. Il se retenait d'hurler de rire et de railler Yst, par respect pour ce dernier. Mais tout de même, il trouvait amusant de voir à quel point les humains étaient sensibles aux choses de l'amour.

Il ne put entendre la suite, le soldat ne l'ayant pas prononcée clairement. Mais si c'était tout aussi niais que le reste, il s'en passerait bien.

"Toutes mes félicitations Yst Decendia vous avez tous deux ma bénédiction amusez-vous bien et vivez heureux dans ce monde parfait."

Il avait dit cela d'une traite, avec un ton presque machinal. Maintenant qu'il y pensait, il était un peu inquiet. Et si Yst aimait trop cette donzelle ? Et si il décidait d'abandonner les combats pour se consacrer à une vie familiale ennuyeuse et plate ? Et leur duel au sommet pour prouver qui était le meilleur, il tombait à l'eau ? C'est ça ? Que faisait-il de ses sentiments à lui, hein ?

L'envie de traiter Yst de salaud insensible et de le gifler lui passa par l'esprit mais il chassa vite cette pensée. Autant demander directement :

"En revanche, j'espère pour toi que cela ne t'empêchera pas de t'entraîner en vue des tournois. Si cela venait à arriver, je... Te hanterai à jamais."

Il voulait dire "je buterai cette fille" mais laissa tomber. Il avait déjà menacé une fillette de mort, mieux valait ne pas trop accumuler ce genre de choses.