Paisiblement posée sur une souche, elle observait son frère, bandé de partout, répété une chorégraphie qu’il avait mise au point pour l’une de ses récentes compositions. Il n’était pas particulièrement bon danseur mais il se débrouillait pas mal, disons qu’il ne danse pas comme il compose et joue. Elle le vit faire une rotation puis déraper sur une racine et finalement, s’étaler au sol. Elle l’applaudissait malgré cela, c’était la seule chose qu’elle pouvait faire pour l’aider, pour le soutenir… La seule chose. Elle arrêta rapidement de battre des mains afin d’abaisser la tête et afficher une mine sombre.

Tandis qu’il revoyait la danse dans sa tête, il énumérait, doucement, les temps afin de se donner un aperçu.

« Un, deux, trois… Quatre, cinq, siIIIX !!! »

Durant la rotation sur le sixième temps, il dérapa sur une racine traîtresse qui dépassait de manière fourbe du sol. En un instant, il se retrouva, sous les applaudissements de sa chère sœur, à fixer la cime des arbres. Les applaudissements cessèrent et ce fut le moment qu’il choisit afin de se relever, difficilement au vue de son actuel état. Il s’épousseta un minimum en soupirant, à ce rythme, il ne pourrait jamais exploiter le plein potentiel de sa dernière œuvre. Il se retourna vers la seule spectatrice présente afin de lui demander son avis mais tomba face à une jeune fille au regard triste. Se rapprochant doucement, il s’agenouilla à son niveau.

« Tout vas bien ? »

« Je te cause plein de problèmes… Hein, Art ? »

« Mais voyons. Ne dit pas ça ! Tu ne me pose aucun prob… »

« Tu mens ! Tu mens, tu mens, tu mens ! Tu t’es battu avec le méchant type en noir parce que vous vous êtes dit des choses que j’ai pas compris, puis vous avez sans doute dit des trucs pendant ma crise. Et mes crises parlons s’en ! Je… »

Elle fut stoppée par une gifle. La joue rougie par le coup, elle observa le regard sévère de son frère, la main encore en suspens du coup donné. Il n’avait encore jamais osé porter la main sur elle.

« Arrête tes conneries tu veux… Je te dis que ne me pose aucun problème. Dis-toi qu’à ma place d’autres t’auraient abandonné depuis longtemps… Est-ce que je t’ai abandonné moi ? Il ne me semble pas. Alors entre bien ça dans ta tête sœurette : Tu m’es plus précieuse que ma vie, si tu penses devenir un poids moi, alors je te porterais sans me plaindre. »

Il espérait l’avoir convaincue, elle est têtue mais il avait l’espoir que de pareilles paroles aient un quelconque impact. Il se redressa, observant les environs. Il espérait que personne n’avait entendu leur conversation. Il réajusta la faux dans son dos, se posa à côté de sa sœur et attrapa son luth. Les cordes commencèrent à vibrer au rythme de l’une de ses nouvelles compositions, c’était sans doute le meilleur moyen d’apaiser la jeune fille.

La forêt avoisinant le Colisée était aussi étendue que celle qui bordait son village natal, voire plus encore. Elle y allait souvent, seule, pour s'exercer au chant en toute tranquillité, ou simplement pour se promener sous le chant des oiseaux. Ici, le sentiment n'était certes pas le même, mais c'était tout aussi agréable. Et découvrir de nouveaux lieux était le but premier.

Ainsi l'ange marchait paisiblement au milieu des sentiers, s'arrêtant de temps à autres pour cueillir un fruit ou pour observer les animaux de passage. Elle avançait depuis presque un heure déjà, mais rien ne la contraignait à mettre un terme à son escapade. Ni la fatigue, ni la faim, pas même le temps puisque le soleil ne faisait qu'entamer sa descente et aucun nuage n'obstruait le ciel.

Alors qu'elle venait de quitter le sentier pour s'aventurer plus loin encore, elle crut entendre au loin le son des cordes d'un instrument. Curieuse et n'en ayant pas entendu depuis un moment, elle s'approcha de la source du son et, tentant d'être aussi discrète que possible, finit par arriver près de deux enfants qui lui tournaient le dos, assis sur une souche. Cela semblait être un garçon et une fille, sûrement frère et sœur. Le plus grand portait une faux dans son dos, ainsi elle comprit qu'ils avaient de quoi se défendre si elle les surprenait. Elle se cacha derrière un arbre et s'assit, les yeux clos, profitant de la douce mélodie que jouait le blond. À priori ils n'avaient pas remarqué sa présence.

Cependant, entraînée par la musique, elle ne pût s'empêcher d'accompagner l'instrument en chantant, tout bas, tant la mélodie était un plaisir pour ses oreilles. C'est quand la musique cessa qu'elle se rendit compte de son erreur.

Ça ne faisait plus aucun doute, ils l'avaient entendue chanter.

<< Ce n'est pas très honnête d'espionner les gens comme ça ! Si vous ne nous voulez aucun mal, présentez-vous ! >>

Lentement, Eirina se releva et se présenta à eux, les mains bien visibles afin de les assurer de ses bonnes intentions. Elle fit ainsi face au musicien, qui la menaçait du bout de sa faux. La petite fille semblait se cacher derrière lui.

<< Pardonnez-moi pour cette attitude, je ne souhaitais pas vous interrompre, ainsi je ne vous ai pas imposé ma présence. >>

Elle jugea bon de ne pas faire de geste provoquant et de garder ses distances pour le moment.

<< Je n'ai aucune intention de vous faire du mal, croyez-le. J'ai seulement entendu le son de votre instrument en passant près d'ici, je me suis approchée pour en profiter pleinement... Vous avez dû m'entendre chanter. >>

Elle posa son regard sur l'arme du jeune homme, puis le reporta à nouveau sur lui.

<< En tout cas, sachez que ce fut un plaisir à entendre, sincèrement. >>

L'ange se courba légèrement en guise de gratitude. Si elle se comportait ainsi, c'était tout d'abord pour ne pas les effrayer, et aussi parce que le simple fait d'entendre de la musique la mettait de bonne humeur. Il fallait à tout prix qu'elle se procure une harpe.

Le blond resta immobile, puis finit par laisser tomber son arme tout en s'élançant vers elle.

<< Que les Cristaux bénissent se jour ! Cette merveilleuse journée qu'est celle de notre rencontre mon ange ! >>

Eirina recula d'un pas, totalement surprise. "Mon ange" ? Il faisait quoi, là ?

Alors qu'il venait de se séparer de sa cadette, celle-ci lui courut après en hurlant son nom, avant de le mettre à terre d'un joli coup de pied. Elle arbora immediatement un air timide.

<< Bonjour madame. Vous êtes une vraie ange ? >>

Ok. L'ange n'avait pas tout compris à ce qu'il venait de se passer. Elle s'attendait à de la méfiance de la part des enfants mais visiblement, c'était tout le contraire. Et leur attitude était... particulière.

Jetant un regard au musicien qui gisait à ses pieds, elle sourit à la petite, qu'elle trouvait très mignonne. Elle lui rapellait une petite fille de son village, très timide elle aussi.

<< Oui, je suis une vraie ange. >>

Elle se demanda si elle devait aider le garçon à se relever, mais craignait la réaction de sa sœur.

<< Comment t'appelles-tu ? >>

Elle parlait d'une voix attendrie. La guerrière aimait beaucoup les enfants, elle regrettait de ne pas avoir eu de petit frère ou de petite sœur.

La petite lui répondit avec enthousiasme. Elle se prénommait donc Symphonia, quant à son frère, il se nommait Art. De bien beaux prénoms, selon l'ange. La fillette commenta la réponse de son frère en le traitant de "crétin". Sympathique. Eirina retint un rire. Elle pensa que si elle avait eu un frère, au vu de son caractère bien trempé, elle l'aurait sûrement traité de la même manière. 

Art se releva difficilement, avant de s'excuser pour son comportement. L'ange ne pût dire un mot que Symphonia le gratifia encore d'une insulte, avant de lui asséner un coup de pied dans le tibia. Elle avait du caractère. 

Boitant légèrement, il alla récupérer son instrument et se tourna à nouveau vers l'ailée. 

<< Sinon, vous me voyez flatté pour vos compliments. Mais, je n'ai pas qu'une corde à mon instrument. >>

À ces mots, il fit doucement sonner les cordes de son luth. Quelque chose d'assez inhabituel se faisait ressentir. Les notes jouées par le musicien se virent accompagner par le son d'autres instruments... Personne d'autre ne jouait pourtant. De la magie ? Était-ce possible ?

Alors qu'elle regardait autour d'elle, elle vit que les yeux du blond, précédemment bleus, avaient, pour quelque raison, viré au vert. 

<< Mais nos précédentes présentations étaient bien plates. Reprenons ! Je suis Art Mélodia ! Barde de mon état, homme de spectacle et idole d'Eternia ! À votre service, madame ! >>

Apparemment, il savait se donner en spectacle. Décidément, cette journée n'était pas si ordinaire que ça. Elle souriait, la musique était magnifique, presque irréelle. 

<< T'es qu'un crétin ! Tu tenais à peine tes concerts et maintenant, tu en fais des tonnes pour un rien ! >> fit la jeune fille une fois son petit numéro terminé. 

Eirina, toujours souriante, ne pût s'empêcher d'applaudir. 

<< Je ne saurais faire de présentation aussi triomphante, ainsi je me présente simplement. Je suis Eirina Unysis, ange de la Lumière. C'est un plaisir de faire votre connaissance. >>

Elle reporta son regard sur le luth du barde. 

<< Rares sont les musiciens aussi talentueux que vous. Je reste perplexe en ce qui concerne les instruments qui accompagnaient le vôtre... En tout cas, c'était remarquable ! >>

Elle baissa la tête vers son foulard et le pris entre ses mains. 

<< Sachez que vous êtes chanceux d'être toujours en possession de votre instrument. >>

Un artiste classé barde, capable d'octroyer davantage de pouvoir à ses alliés en utilisant une magie liée à la musique... Ce jeune homme était très intéressant, l'ange n'avait jamais rien entendu de tel.

Art, dont les yeux avaient retrouvé leur couleur d'origine, lui demanda poliment s'il pouvait lui faire une requête. Elle acquiesça d'un hochement de tête alors qu'il se rapprochait de sa sœur, posant sa main sur sa tête.

<< À cause de certain... secret, je suis en froid avec quelqu'un de très peu recommandable. N'ayant aucun scrupule, il m'a menacé de s'en prendre à ma jeune sœur si je venais à parler. Aussi, je vous le demande, connaîtriez-vous des personnes pour m'aider à lui tenir tête ? >>

Une demande bien particulière, et effectivement audacieuse. Eirina réfléchit un instant.

<< Il y a de nombreux combattants ici qui pourraient vous aider. Aussi, je veux bien vous apporter mon soutien. >>

Elle regarda la petite Symphonia, qui avait la tête baissée et semblait contrariée. Elle mit un genou à terre afin de se placer à sa hauteur et lui sourit.

<< Vous avez l'air très proches tous les deux. Cela me déplairait de savoir en danger une personne chère à mes yeux. >>

En prononçant ces mots, elle songeait à Yst. Elle ne s'autoriserait pas à rester passive si une telle situation devait se produire. Et elle apprécierait l'aide d'autrui.

<< Je connais bien sûr d'autres personnes aux capacités exceptionnelles, mais je veux sincèrement vous aider. >>