Jour 1Le pied indécis, les paupières révulsées sur deux yeux écarquillés, la bouche béante de stupeur, Aska avait du mal à considérer l'immensité de la chose devant lui.
Devant lui, se dressait un titan de fer et d'acier, qui s'étirait si haut qu'il lui était impossible de voir le sommet, et ce, même en levant la tête et étirant son cou - si petit le sien soit-il. Pour peu, il déglutit : sa bouche s'était asséchée en considérant qu'il ne s'agissait que de la porte d'entrée. Si la porte d'entrée était de cette taille, de quelle taille seraient ses adversaires !? L'idée de vouloir se prouver aux humains ne lui semblait plus aussi importante, tout d'un coup...
Les plumes de ses ailes frémirent, comme un frisson de malaise lui parcourra l'entièreté du dos. Il ne savait plus s'il devait pénétrer l'enceinte du Colisée, ou déguerpir et s'arracher du sol à tire d'ailes. À quoi bon brider sa liberté alors qu'il venait tout juste d'y goûter ? D'un autre côté, sa curiosité et son désir d'en savoir plus faisaient aussi pencher la balance.
Face à tant de confusion, sa sphère de ponctuation prit brièvement la forme d'une tornade. Que faire...?
Pendant qu'il réfléchissait, sa queue fut saisie d'un nerveux mouvement derrière lui, et ses mains trouvèrent le moyen de se rouler en poings. Aska bomba le torse tout en inspirant profondément. Bon. Il sourcilla. Autant ne pas traîner.
Quand bien même il lui fallait marcher six pas pour pouvoir équivaloir un seul pas humain, il brava le titan de fer et d'acier et fit son premier pas en direction de l'entrée, ne pouvant empêcher ses yeux de se lever en passant en dessous de l'arche, lorsqu'elle lui bloqua les rayons du soleil.
Baigné dans l'ombre du Hall, bercé par les voix de futurs compétiteurs qui discutaient sur les côtés, il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait à l'intérieur du Colisée, et le sentiment de ne pas savoir était étrangement rafraîchissant...
Si l'extérieur était intimidant, l'intérieur l'était d'autant plus : une brève lecture de gauche à droite lui permit de constater le nombre ahurissant de potentiels compétiteurs dans le tournoi - et, évidemment, tous se dressaient bien plus haut que lui.
Il crut apercevoir, au loin, une sorte de file mener à un comptoir, où se trouvait derrière une personne accueillante et au visage illuminé d'un sourire en permanence (sûrement pour tempérer l'ambiance de compétition qui puait à plein nez). À peine réussit-il à faire trois autres pas qu'une ombre le recouvrit à nouveau. Il s'empressa de lever les yeux.
- Hun ! Je crois que tu t'es trompé d'endroit p'tite tête, ici on se bat, on fait pas du babysitting. HAHAHAHAHA !
Son barrissement fit plisser les yeux du Chao, qui serra ses dents avant de les grincer ensemble. Voilà que son désir d'écraser les humains était revenu. Alors qu'il entrouvrait sa bouche pour s'apprêter à lui rétorquer, son attention se tourna vers un deuxième importun qui arriva derrière le premier : « Ne l'écoute pas, il ignore à quelle espèce il a à faire. »
Malgré les bonnes intentions de l'étranger, Aska leva sa tête, bien décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. C'est lorsque son regard croisa le sien qu'il en perdit sa verve. Sa langue se noua. Il fut pris d'une sueur froide.
Devant lui, c'était Knuckles.
Alors qu'il revivait par saccades les souvenirs de son ancienne vie auprès des humains, les deux compétiteurs poursuivaient leur échange:- Va donc t'occuper ailleurs, tu nuis à l'ambiance du Colisée.Mais l'insulte ne sembla pas passer au travers de la torpeur du chao. Aska n'avait plus d'yeux que pour l'échidné, qui avait tourné les sens vers lui, et qui remuait ses lèvres sur des mots qu'il n'entendait pas.
- Tsss... ouai c'est ça, on se reverra... Nabot !- Finalement, je ne suis pas le seul individu de mon monde à avoir atterrit ici, cela me réconforte.Réconfort. Aska se rappelait du sentiment de réconfort que Knuckles leur apportait, parfois. À ses yeux, L'image de Knuckles s'était superposée à celle de Capac. Mais la voix, l'accent, le ton et les manières de ce-dernier créèrent une sorte de dissonance, tout au creux du subconscient de la petite créature.
« Que... » Aska fronça les sourcils, sa queue saisie d'un nerveux mouvement.- Qu... Qu'est-ce que tu me racontes...Il secoua sa tête, resserrant ses poings, le corps secoué par un tremblement de rage, qui le força à baisser les yeux.- C'est tout ce que tu trouves à dire après ce que tu nous as fait ? Ce que vous nous avez tous faits ?... Son ton s'envenima: Avant, ça te pesait de venir nous voir, mais maintenant que tu es seul, ça t'arrange, c'est ça !?
Son petit corps fulminant, Aska n'avait pas quitté des yeux l'échidné, attendant de pied ferme les excuses de ce-dernier. Maintenant qu'il l'avait pris la main dans le sac, qu'avait-il à dire pour sa défense ? Rien que l'imaginer bafouiller lui fit plisser les yeux de dédain.
Mais plutôt que que de succomber à son sentiment de culpabilité, l'échidné fit preuve d'un calme qui ne lui ressemblait pas, ne faisant qu'accroître la dissonance qui était née dans le subconscient du chao :- Je suis désolé, il dit avec sincérité, c'est la première fois pour moi qu'on se rencontre. (Aux yeux d'Aska, l'image de Knuckles se brouilla un instant, révélant celle de Capac en dessous, avant de la faire disparaître à nouveau.) Ne confondrais-tu pas avec un autre échidné ? Malgré sa confusion, Aska se renfrogna.Sa voix s'éreinta sur sa dernière syllabe, alors que, gagné par l'impulsion, il s'était avancé d'un pas afin de fendre l'air d'un coup de poing, pour le délivrer à l'autre. Mais ses forces lui manquèrent déjà, car son poing ne froissa à peine le cuir vert de ses bottes.
- F-fais pas le malin avec moi ! il rétorqua, sur la défensive, sa confusion inconsciente le faisant buter sur ses mots. Cette confusion ne fit qu'accentuer sa colère, le poussant à accuser le pauvre Capac d'une main tremblotante.
- Je ne suis pas un idiot ! Et puis comment je pourrais confondre, hein ? Tu penses vraiment que je pourrais oublier ta sale tête ?
...!
Le souffle court, le poing en extension, Aska demeura là, immobile, impuissant, le corps saisi de tremblements. La dissonance atteint son paroxysme et lui fit enfin voir les choses en face : cet échidné n'était pas Knuckles. Cet échidné ne l'avait jamais visiblement rencontré. Il l'avait confondu avec Knuckles. Mais si cet échidné n'était pas Knuckles, alors qui était-il...?
- ...Q-qu'est-ce que tu voulais dire, par "individu de ton monde" ? il se risqua à demander, sans avoir le courage de le regarder dans les yeux, un sentiment de honte gagnant sur son courroux.
Le malaise d'Aska ne fit que s'accroître lorsque l'échidné ne montra aucun signe de rancœur, en répondant à sa question le plus naturellement possible:- Hé bien (il fit, sans la moindre trace d’animosité dans la voix), je parlais d'Angel Island, notamment de ma tribu, composée d’échidnés et de chao, comme toi.Comme.... moi ? Aska avait beau ne pas savoir exactement ce que signifiait le mot "tribu", ses yeux pétillèrent un instant lorsqu'il se rendit compte que les mots de l'échidné évoquèrent l'image d'un endroit, où "humains" et chao coexistaient en paix. Aska fut saisi d'un nouveau tremblement, alors qu'il retirait son poing de la chaussure de son interlocuteur, afin de prendre une posture disons, moins hostile à son égard.- Sauf que notre village à été attaqué, poursuivit ce-dernier. Enfin je crois... Et... hé bien apparemment je suis mort et je me suis réincarné dans ce monde, il acheva en se grattant l'arrière de la tête.« Euh » Pris de court par l'explication, Aska plissa une paupière sur un rictus incertain. L'autre semblait partager le même scepticisme, mais à défaut d'avoir une autre explication, tout deux allaient devoir se contenter de celle-ci. L'échidné reprit donc:- Je m'étais fait un ami chao, il était rouge et fort physiquement.Aska porta sa main derrière sa tête, réprimant un petit gloussement nerveux. Il se demandait bien comment un chao furieux qui avait été prêt à le rouer de coup de poings pouvait bien apporter de l'espoir à cet individu... Mais l'autre était sincère: il venait d'essuyer une larme sur le bord de son œil, comme si le simple fait de se remémorer son ancienne vie suffisait à trahir sa contenance. Il était calme, mais pas insensible...
Aska s'entendit hoqueter. Non seulement chez cet individu coexistaient des humains avec des chao, mais pas en tant qu'animaux de compagnie... en tant qu'amis.
-Il s'appelait Berry.
Ils avaient un nom. Une identité.
- Il me manque, lui ainsi que ma famille. Jusqu'ici je me sentais abandonné dans ce nouveau territoire, mais en te voyant ici, je reprends espoir.- Peut-être as-tu déjà entendu parler de moi, je m'appelle Capac ou bien Aigle du zénith pour certains, toutefois je ne fréquentais pas beaucoup les chao jusqu'à un certain jour, j'étais bien trop occupé à garder le village. Et, comme pour lui-même: « pour quelques misérables sous... »Et qui sait si cet argent avait une quelconque valeur dans le Colisée des Héros. Aska battit l'air de ses ailes par-deux fois, cherchant à dégourdir son mal.- Non... je n'ai jamais entendu parler de toi. (Une sorte de sourire lui fit plisser les yeux.) Je t'ai sans doute confondu avec un autre, hehe. (Son sourire s'affaissa.) Je suis désolé...En relevant les yeux vers l'échidné, son regard tantôt absent sembla s'éclaircir de vie, alors que sa queue derrière lui se redressait du sol.- Je m'appelle Aska. Je ne crois pas venir du même endroit que toi, Capac... Chez moi, les humains ne vivent pas auprès des autres chao. (Une sorte d'expression résolue prit place à son visage.) Et, contrairement à toi... Moi, je suis content d'avoir trouvé cet endroit.
(Il baissa un peu les yeux, comme les mots de l'autre lui revenaient en tête.) Je ne sais pas si je suis mort, ou si j'ai vraiment ma place ici (ses paupières se plissèrent de dédain en repensant au combattant au rire grotesque de plus tôt) mais... (Il releva la tête) ... je m'en fiche. Ici, au moins, je suis libre.
Lui même n'aurait su dire si l'origine de sa tirade venait de la passion ou de sa désillusion. Le choc du changement de monde avait été si brusque que son subconscient avait choisi de brider tout ressenti émotionnel. Ce n'était pas le cas de Capac, qui avait été capable d'évoquer l'existence de sa famille, ailleurs.
Ce-faisant, Aska ne put empêcher son esprit de faire défiler unes à unes les images des autres chao de sa parenté. Kasa, Saka, Kaas. Chaque image l'aveuglait de souvenirs, de souvenirs qui cherchaient à bafouer le fébrile sentiment de liberté qu'il avait acquis en enterrant sa culpabilité.
Aska s'empressa de chasser ces images d'un geste inconscient de la main. C'est du coin de l’œil qu'il vit Capac mettre un genou à terre pour se mettre à sa hauteur.- Enchanté Aska. Je pense que, quel que fut notre passé, ici se joue quelque chose de nouveau.En d'autres mots, une part de Capac voulait toujours retourner chez lui. Cette réflexion le fit penser. Et moi, mon but, c'est quoi ?...
- De nouveau... Le mot "nouveau" rima avec "liberté", et "liberté", avec "vertige".
- Je ne suis pas sûr de pouvoir retourner de là d'où je viens, mais j'en fais mon but, quelque chose qui peut me faire tenir le coup. De toute manière comme on dit, ce qu'il y a souvent de bien lorsqu'on a un objectif, c'est le voyage, pas la destination en elle-même.
Si Capac avait tourné sa tête vers la file, en avant, Aska avait tourné la sienne vers l'entrée, en arrière. Ses yeux croisèrent le regard d'un autre. Sa queue se mit à vibrer, fouetta l'air par deux fois avant de se dresser comme celle d'un chien en colère.
Il voyait, au coin de la pièce, appuyé contre un mur, le fier-à-bras de plus tôt se vanter de ses "prouesses" avec d'autres guerriers.- Tu comptais participer au tournoi peut-être ? lui demanda Capac, détournant son attention. Aska sentit son poing se resserrer.Sans préambule, Aska déploya ses ailes et se suspendit en l'air, à un mètre du sol à peine- soit la hauteur de Capac, debout. Aska baissa ses yeux vers son poing serré. C'était à lui de se mettre à la hauteur des autres, pas l'inverse.
- Non. Il lâcha d'un ton sec, sans le regarder.
C'est alors qu'il lui fit face.
- Je compte le gagner.- Relève-toi, Capac, il lui dit alors. Je ne veux aucun traitement de faveur.Se rendant compte de la dureté de son ton, il lui offrit un sourire afin de le rassurer. Capac n'était pas son ennemi - un potentiel adversaire, oui, mais pas un ennemi.
Le sourire d'Aska se durcit sur un rictus furieux alors qu'il fit volte-face d'un seul coup, et désigna de l'index le gaillard, au loin.- TU ENTENDS, CONNARD?! Je compte gagner le tournoi ! (Il battit des ailes par deux fois, repliant son bras.) On verra bien qui s'est trompé d'endroit après avoir RACLÉ LE SOL DE TA FACE !Aska se tut, ronflant des narines de mécontentement. On aurait pu jurer y avoir vu de la fumée en sortir...